Vue générale de la Saline
Les origines de la saline
Sous l’Ancien Régime, le sel a une importance capitale. Appelé « or blanc », il permet aux populations de conserver les viandes et les poissons pour pouvoir les consommer en hiver. Le roi, qui dispose d’un droit de monopole sur le sel, confie à la Ferme générale l’exploitation, la vente et le prélèvement de l’impôt, la gabelle.
Les usines royales de Lorraine et de Franche-Comté utilisent un procédé technique simple qui consiste à faire bouillir les eaux salifères et à recueillir le sel après évaporation. La saline de Salins ne suffisant plus à répondre à la demande, il est décidé d’en bâtir une nouvelle à Arc-et-Senans, près de la forêt de Chaux qui fournira le combustible pour chauffer « les petites eaux » acheminées de Salins. La construction en est confiée à Ledoux en 1774. Ce dernier est, depuis 1771, inspecteur des salines de Lorraine et de Franche-Comté. En 1773, il reçoit, à l’âge de trente-sept ans, le titre envié d’architecte du roi.
Les travaux durent de 1775 à 1779. L’architecte veut innover, en donnant un caractère monumental à des bâtiments utilitaires qui en étaient dépourvus jusque-là. Traditionnellement une usine à sel se compose d’un ou plusieurs puits salés, de bernes, bâtiments où l’on chauffe l’eau salée jusqu’à évaporation, d’un magasin pour entreposer les tonneaux de sel (les bosses), d’un atelier de cerclage, et éventuellement d’un bâtiment de graduation, où l’eau salée subit une première concentration de sel avant sa cuisson.
Un plan très organisé
Dans son premier projet, Ledoux organise rationnellement les diverses fonctions de l’usine. Il prévoit une enceinte carrée où les bâtiments sont reliés les uns aux autres par des galeries couvertes, supportées par 200 colonnes. « Ces vues sont grandes, s’étonne Louis XV, mais pourquoi tant de colonnes ? Elles ne conviennent qu’aux temples et aux palais des rois ! »
Le second projet inscrit la saline dans un plan semi-circulaire, qui permet une surveillance efficace depuis la maison du directeur, placée au centre du diamètre. De part et d’autre, de manière symétrique, se nt deux bernes. L’entrée, qui regroupe le lavoirLieu public où on lavait le linge, à la main., la boulangerie et une prison destinée à « intimider la fraude », est flanquée par l’atelier des tonneliers, par celui des maréchaux et par diverses habitations, tous situés sur la circonférence. Les bâtiments sont séparés les uns des autres pour diminuer le danger de propagation des incendies et faciliter l’aération des bâtiments. Chaque famille d’ouvrier dispose d’une grande chambre avec cheminée.
Des eaux salées au sel
L’eau salifère doit parcourir deux canaux parallèles, les saumoducs, faits de troncs de sapins évidés, les bourneaux, sur une distance de 21 kilomètres, des puits de Salins jusqu’à Arc-et-Senans. Pour fabriquer ces conduites enfouies dans le sol, il faut abattre pas moins de 15 000 sapins.
L’eau d’un canal dérivé de la Loue élève les petites eaux au moyen d’une roue et d’une pompe foulante. Dans le bâtiment de graduation, long de 491 mètres, elles subissent une première évaporation, en ruisselant sur des branchages exposés au soleil et au vent, les épines. À la sortie, déjà fortement concentrées en sel, elles sont acheminées par des pompes à chevaux vers les bernes où, dans huit poêles carrées, on procède par cuisson au dessèchement de la saumure. Le sel d’Arc-et-Senans est mis en vente, soit en grains, généralement destinés à l’exportation, soit en pains.
En savoir plus
Une esthétique originale
À un agencement utilitaire et fonctionnel précis des divers éléments de l’usine s’ajoutent une hiérarchisation architecturale et une esthétique tout à fait originales. Seuls éléments « décoratifs », la grotte, sous le péristyle d’entrée, évoque une montagne de sel et les urnes des façades montrent l’eau salifère en train de ruisseler et de se figer le long des murs. Ces représentations allégoriques qualifient encore la fonction : l’entrée dans une usine à sel et la transformation des eaux salifères. En effet, « l’architecture parlante », défendue par les architectes de l’époque, doit être intelligible par tous et donner une idée claire de chaque fonction.
Aussi l’étonnant palais directorial est-il doté d’un péristyle colossal, dont l’architecte Blondel, maître de Ledoux, réservait auparavant le privilège au pouvoir royal et à l’Église. Symbole d’une puissance nouvelle, celle de l’industrie émergente, cet édifice domine architecturalement tous les autres et « porte l’empreinte d’un caractère décidé qui assujettit à sa domination les bâtiments d’à-côté ». Les colonnes, prévues à l’origine pour toutes les faces, se limitent finalement à la façade principale, à la suite d’âpres discussions avec les pouvoirs administratifs. « Les assises rondes et carrées des colonnes, écrit Ledoux, épouvantées par la distance, reculent et produisent des ombres tranchantes, des effets piquants ; ces combinaisons de l’art changent les contrastes à mesure que le soleil s’étend dans sa course, les saillies produisent des ombres qui substituent des forces à la faiblesse produite par l’éloignement ». La maison du directeur contient divers services et appartements, une chapelle et un escalier monumental ouvrant sur le péristyle extérieur pour permettre au public, même nombreux, d’assister aux offices. Les caves de l’édifice sont occupées par des cuves à vin, des réserves de bois et de charbon, et le rez-de-chaussée par des caisses publiques, des services comptables, les laboratoires des chimistes et divers réservoirs.
Au premier et au second étage on d’abord une chapelle: 30 marches conduisent à un palier, suivies de 30 gradins qui montent au sanctuaire où repose l’Être suprême. « Ici, écrit Ledoux, l’objet principal est le culte concentré » qui doit contribuer à « élever l’âme du spectateur ». Des appartements jouxtent ce lieu : les logements des médecins, des apothicaires et des inspecteurs généraux, ainsi que le bureau du directeur, comme si Ledoux avait voulu associer le plus étroitement possible au culte les activités administratives et techniques de son usine à sel.
Une histoire finalement mouvementée
La saline devait faire partie de la ville de Chaux, mais celle-ci demeura à l’état de projet. Ses bâtiments sont cependant abondamment décrits et commentés dans l’ouvrage que Ledoux édite en 1804 : L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation.
La saline royale connaît une histoire mouvementée. Bien national pendant la Révolution, elle est louée et négociée à plusieurs reprises. Rachetée en 1846 pour le compte de la reine d’Espagne par le chevalier Grimaldi, elle souffre de la concurrence des autres salines et de l’exploitation des marais salants. Un incident, une rupture de ses canalisations, entraîne la pollution de l’eau d’un village. Enfin, après plusieurs tentatives infructueuses de modernisation, la Société des salines de l’Est, propriétaire du bâtiment, décide de stopper la production en 1895.
Ce magnifique ensemble architectural est alors laissé à l’abandon, envahi par les broussailles. La maison du directeur est endommagée par la foudre en 1918, avant d’être partiellement dynamitée en 1926 par son propriétaire qui proteste contre le projet de classement de la Saline au titre des monuments historiques. Le département du Doubs la rachète en 1927 et entreprend de longues et difficiles restaurations à l’identique, de 1936 à 1996, date où elle re enfin toute sa splendeur d’origine.
Inscrite au patrimoine mondial de l’UnescoOrganisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation) créée en 1945. Depuis 1978, l’UNESCO a classé 1154 biens, culturels ou naturels, comme patrimoine mondial. More depuis 1983, la saline remplit aujourd’hui des missions culturelles et touristiques. Lieu international de réflexion sur l’urbanisme et la cité, elle accueille des colloques, des séminaires et des expositions.
Contexte
La France à la veille de la Révolution
La France des années 1780 est un pays où trois habitants sur quatre vivent à la campagne. Le pays se trouve dans une triple situation de crise. La crise est tout d'abord économique : la hausse du prix du pain plonge le pays dans la disette. Les crises de subsistance affolent les populations. Au printemps 1789, l'agitation populaire est vive dans les campagnes et dans les villes.
La crise est également sociale : les difficultés économiques déstabilisent une société d'ordres déjà en crise. La paysannerie, dont les revenus s'effondrent du fait des mauvaises récoltes, est plus que jamais incapable de répondre aux exigences seigneuriales et royales.
La crise est enfin politique. La monarchie française a toujours connu un important déficit budgétaire, mais ses difficultés s'accroissent à cette époque. En 1788, l'État est proche de la banqueroute : plus de la moitié de ses revenus est absorbée par le remboursement de la dette.
Seule une réforme fiscale radicale passant par la remise en cause des privilèges pourrait sortir le pays de la crise financière. Mais les contrôleurs généraux des finances, qui tentent de mettre en place un impôt unique payé par tous, se heurtent à l'opposition des parlements. Toutes les tentatives de réformes échouent. Dans l'espoir de mettre fin à la crise, le roi Louis XVI accepte de convoquer les états généraux afin de demander la création de nouveaux impôts. Pour préparer cette consultation, il demande à ses sujets de lui faire connaître leurs revendications : près de 60 000 cahiers de doléances sont rédigés au printemps 1789 et envoyés à la Cour. Il s'agit d'un éclairage exceptionnel sur l'état de l'opinion publique à la fin des années 1780. Le roi a ainsi ouvert un espace de liberté de parole sans précédent pour les Français.
Complément(s)
Document(s)
Pour mieux comprendre les films « Ledoux, architecte du regard »
« Document d’accompagnement de la série « Ledoux, architecte du regard », série de 12 films consacrés à la vie et à l’œuvre de Claude Nicolas Ledoux.
L’état de la saline royale d’Arc-et-Senans en 1810
Ce texte décrit l’état de la saline royale d’Arc-et-Senans au début du XIXe siècle.
Vidéo(s)
Saline d’Arc-et-Senans : à l’origine
Épisode 3 de la série de 12 films de 1 min 40 : Ledoux, architecte du regard.
La saline de Salins manque d’espace pour s’agrandir et de bois pour cuire ses eaux salées. La construction d’une nouvelle saline est décidée. Loin de mépriser ce type d’ouvrage utilitaire, Ledoux se propose comme architecte. Mais son premier projet est refusé.
Saline d’Arc-et-Senans : l’usine
Épisode 4 de la série de 12 films de 1 min 40 : Ledoux, architecte du regard.
Louis XV donne son accord au nouveau projet de Ledoux, qui regroupe en un même lieu les ateliers et logements des tireurs de sel, maréchaux, tonneliers, boulangers etc. Les eaux salées à évaporer viennent de la ville de Salins, par un tuyau de 21 km.
Saline d’Arc-et-Senans : l’oeuvre
Épisode 5 de la série de 12 films de 1 min 40 : Ledoux, architecte du regard.
Usine à sel, la saline d’Arc-et-Senans est aussi une œuvre architecturale, pour laquelle Ledoux a inventé une esthétique nouvelle, opérant à l’échelle de bâtiments de grande taille. Symbole de la puissance royale, la maison du directeur occupe le centre d’un parfait demi-cercle.
Site(s)
Lien vers les Salines de Salins-les-Bains
Pour découvrir l’autre saline de Franche-Comté désormais reconnue également au patrimoine mondial de l’UnescoOrganisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation) créée en 1945. Depuis 1978, l’UNESCO a classé 1154 biens, culturels ou naturels, comme patrimoine mondial. More.