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Un atelier de polissage à la fin du XIX ème siècle

Saint-Claude | Jura | La Fraternelle | 1888
Époque contemporaine | L'âge industriel

© Archives de La Fraternelle Fonds Gauthier.

Cette photographie est prise à l’intérieur de l’atelier de polissage de la coopérative « La Pipe » créée au début du XXeme siècle par un groupe d’ouvriers pipiers de Saint-Claude. On peut observer une vingtaine d’ouvrières au travail, face aux grandes fenêtres caractéristiques des usines du Haut-Jura, qui permettent d’offrir la lumière nécessaire aux travaux manuels et minutieux de ces petites mains. Le système de poulies, accrochées au plafond, est bien visible. Il permet de faire tourner les pierres à polir des postes d’ouvrières.  Chaque section de la fabrication d’une pipe se fait au sein d’un atelier spécialisé, par des ouvriers dont le savoir-faire est reconnu. On voit le caractère artisanal des manufactures saint-claudiennes, qui ressemblent plus souvent à des ateliers qu’à des usines. Le polissage est la cinquième étape de la fabrication d’une pipe, qui en compte en tout neuf, pour une quinzaine de gestes en tout. Les polisseuses travaillant dans cet atelier touchaient des salaires généralement élevés, ce qui en fait une place recherchée. En 1923, il y a une centaine de sociétaires à « La Pipe », dont la moitié sont des femmes.

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Le polissage se fait en deux temps, d’abord le verrage, puis le ponçage. Dans le verrage, on frotte la pipe sur des plaques de feutre revêtues de papier émerisé. Dans le ponçage, on frotte la pipe sur un rouleau ou un disque de feutre enduit d’un mélange d’huile et de pierre ponce pulvérisée. Dans le processus de fabrication d’une pipe, plusieurs sections sont réservées aux femmes, comme le mastiquage et le trempage, le polissage ou l’éclaircissage. Il faut attendre la seconde moitié du XIXeme siècle et même la fin de la guerre de 1870 pour que la ville de Saint-Claude et ses alentours connaissent les transformations liées à l’industrialisation. La mécanisation et la division du travail font leur apparition, améliorant les conditions de travail des ouvriers et la vie économique locale. Entre 1884 et 1892, le nombre d’entreprises fabriquant des pipes a ainsi doublé dans la ville.

Les progrès techniques sont réels, mais restent modestes. Les machines viennent soutenir le travail des ouvriers, notamment grâce à l’utilisation de la force hydraulique obtenue par les nombreux torrents et chutes d’eau qui entourent Saint-Claude. Ainsi, l’immeuble de la coopérative La Pipe est construit à proximité de l’un des deux principaux cours d’eau de la cité pipière, le Tacon. Les bords de l’autre rivière, la Bienne, accueillent à cette époque  la majorité des ateliers de la ville. Cette situation naturelle favorable sera aussi utilisée dès 1901 pour produire l’électricité qui alimentera notamment les usines. La modernisation des outils n’empêche pas pour autant le travail manuel. Ce dernier reste un facteur important de la production dans les industries locales, qui perdurera toute la première moitié du XXeme siècle. Au début du XXeme siècle, Saint-Claude est la capitale mondiale de la fabrication des pipes de bruyère dont elle a le quasi-monopole. La tradition du travail du bois et de la tournerie est ancienne dans la région. Elle se développe dans la ville et ses alentours dès le Moyen-Age grâce à la présence des moines de l’abbaye, mais aussi à la faveur des longs hivers qui poussent les paysans locaux à chercher d’autres activités lorsque les cultures sont en sommeil. Au XVIIIeme, les artisans  fabriquent des tuyaux de pipes en bois ou en corne. Se développe ensuite l’utilisation du buis et du merisier. En 1856 environ un négociant marseillais, établi à Saint- Claude comme représentant en vin, eut l’idée de faire venir du midi du bois de bruyère, et d’essayer sur ce bois la fabrication de la pipe. C’est ainsi que naît l’industrie de la pipe à Saint-Claude. La racine de bruyère est donc ensuite adoptée comme matière première. Elle vient d’Afrique du Nord, du Var, des Pyrénées orientales, de Corse, de Sicile et d’Espagne. On  fabrique jusqu’à 45 millions de pipes à Saint-Claude, dont la plupart sont exportées. Les principaux clients sont Anglais, Suédois et Norvégiens mais aussi Britanniques et Allemands. La pipe est un produit de luxe et celle produite à Saint-Claude domine le marché grâce aux qualités de ses finitions.

Les ouvriers de la coopérative « La Pipe », comme d’autres à Saint-Claude, sont payés «aux pièces», c’est à dire en fonction du nombre de pièces produites, plutôt que du nombre d’heures travaillées. Ils bénéficient donc d’un statut avantageux par rapport aux travailleurs des autres villes. Plus libres, mieux rémunérés et reconnus pour leur habilité, les ouvriers des ateliers pipiers de Saint-Claude fabriquent des produits dont la réputation dépasse largement le cadre local.

C’est en suivant l’exemple de la Fraternelle, coopérative de consommation prospère, et des coopératives diamantaires comme Adamas ou le Diamant que naît en 1906 la coopérative La Pipe. La Pipe une SCOP : société coopérative ouvrière de production. L’objectif n’est pas de dégager des profits mais bien de redistribuer l’argent gagné avec une attention particulière au secours mutuel entre sociétaires (chômage, maladie, retraites, invalidité et décès). On retrouve ici une autre particularité de la culture ouvrière de Saint-Claude de cette époque, le statut de société coopérative étant en effet la norme pour les entreprises locales.

Contexte

Le monde ouvrier

Le monde ouvrier vit au début de l'industrialisation dans une grande misère qui contraste avec l'aisance de la bourgeoisie. Le paroxysme est atteint dans les années 1830-1840. Les familles touchent des salaires journaliers juste au niveau du minimum vital. Le temps de travail n'est pas réglementé. Avant les lois limitant le travail des enfants, il n'est pas rare de voir des petits ouvriers âgés de 8 ans travailler jusqu'à 16 heures par jour ! Dans les ateliers comme dans les villes industrielles, on respire un air chargé de fumée et de particules toxiques.

Des médecins rédigent des rapports qui montrent les conditions sanitaires épouvantables des familles ouvrières de cette époque. Les logements sont insalubres et surpeuplés. Les familles habitent dans les greniers ou les caves. À Londres, la classe ouvrière s'entasse dans de véritables taudis. Le rachitisme des enfants est fréquent. Devant ces aspects les plus révoltants, l'État intervient timidement. En 1841, le travail des enfants de moins de 8 ans est interdit en France. Des patrons mènent une action paternaliste. Ils assurent le logement et une certaine protection sociale à leurs ouvriers. Globalement, la vie ouvrière reste cependant très dure.

Il faut néanmoins se garder d'une vision trop misérabiliste de la condition ouvrière au XIXe siècle. Cette classe sociale développe une sociabilité et des solidarités qui lui font peu à peu prendre conscience d'elle-même et de ses intérêts. Une véritable culture ouvrière s'affirme. Elle se caractérise par la fréquentation des cafés, les promenades, des fêtes, mais aussi la mise en place de caisses mutuelles de solidarité contre les risques de l'existence et de bourses du travail. Les luttes ouvrières s'organisent. Ces combats ouvriers et les pressions syndicales et politiques contribuent à améliorer les conditions de vie et de travail au cours du XIXe siècle. Les ouvriers se nourrissent mieux. La hausse des salaires permet à certains d'acheter des biens de consommation.

Complément(s)

Image(s)

La Pipe, un coin de l’atelier d’ébauchage.(© Archives de la Fraternelle, fonds Gauthier.

La Pipe, société coopérative, vue de l’usine avant ses agrandissements (© Archives de la Fraternelle, fonds Gauthier.

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