Les inventaires à Boujailles
Un inventaire mouvementé
» Les chevaux broient sur le sol des membres de femmes et d’enfants. Les gendarmes frappent brutalement de leurs crosses de pauvres femmes sans défense » Voici en quels termes le journal Le courrier de la Montagne rend compte des « incidents de Boujailles ». Les catholiques ont-ils été brutalisés comme ils l’affirment ? C’est en tout cas l’opinion de cet hebdomadaire du Haut-Doubs. Journal antidreyfusard, il défend surtout la cause de l’armée et du patriotisme. Le Haut-Doubs est une terre de tradition marquée par un héritage catholique. Les premiers inventaires commencent le 22 janvier 1906 dans le département, et ils se passent dans le calme. Mais, le 1er février, le contexte parisien change : des incidents éclatent à Paris et donnent le signal et l’exemple pour des mouvements en province. Une large campagne de presse appelle à la résistance. Parfois, le clergé paroissial semble dépassé et n’est plus écouté. C’est le cas à Boujailles où les appels au calme ne sont pas entendus.
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Boujailles, un cas à part ?
La grande majorité des départements sont restés calmes, et dans le Doubs, la résistance n’a pas eu partout la même intensité. On peut distinguer à la suite des travaux de Daniel Lonchampt quatre types de comportements : soit l’inventaire a lieu sans incident avec de rares manifestants. Dans ce cas le curéPrêtre chargé d’une cure, fonction de direction spirituelle et d’administration d’une paroisse., après une protestation d’usage, laisse se dérouler l’inventaire dans le calme. Soit l’inventaire ne peut avoir lieu car après la protestation, des manifestants nombreux refusent l’ouverture des portes. Néanmoins, il n’y a pas d’incident. Troisième cas, la mobilisation est forte, le lieu de culte est barricadé, et l’inventaire ne peut se dérouler qu’avec l’aide des gendarmes mais sans incident majeur. Enfin, peut exister une situation de violence, marquée par une résistance acharnée, un affrontement brutal et l’inventaire ne peut avoir lieu. Si globalement dans la vallée du Doubs les inventaires se déroulent dans l’indifférence, en revanche, dès qu’on gravit les premiers plateaux, la résistance gagne en intensité. Les manifestants appréhendés à Boujailles ont eu à répondre de leurs violences devant le tribunal de Pontarlier.
J. Eugène accusé d’avoir porté la main sur le lieutenant est finalement acquitté. La libération des prisonniers est prétexte à des réceptions chaleureuses et ceux de Boujailles sont conduits en triomphe au cercle catholique de Pontarlier.
L’héritage de la révolution n’a a pas été gommé des mémoires et les inventaires ont réveillé des blessures mal cicatrisées chez les catholiques. En octobre 1906, le Haut-Doubs est à nouveau en ébullition car pour concrétiser la laïcité de l’école publique les emblèmes religieux doivent être enlevés des établissements scolaires laïques. La charge de cette délicate mission revient aux maires.
Puisqu’il n’est plus possible de refixer le crucifix dans l’établissement scolaire, chaque enfant se rendra à l’école avec une croix et une médaille de la sainte vierge sur la poitrine : ainsi en ont décidé par exemple les parents de Boujailles.
Contexte
Croire et prier : le catholicisme en France, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle
L'industrialisation et l'urbanisation au XIXe siècle bouleversent la société traditionnelle. Dans le monde ouvrier notamment, on assiste à un recul de la pratique religieuse.
Pourtant, elle ne disparaît pas. Le catholicisme reste fortement ancré dans la France rurale. Le XIXe siècle est même marqué par un regain de ferveur religieuse. Le culte de la Vierge se manifeste par des « apparitions » comme à Lourdes. Le train rend possible les grands pèlerinages qui connaissent un réel engouement.
L'Église reste très présente dans les œuvres d'assistance et dans l'enseignement. De nombreuses congrégations religieuses sont fondées pour ces actions sociales ou pour accompagner les missions.
L'essor des sciences remet en cause la vision religieuse du monde. L'Église catholique est sur la défensive. Le pape Pie IX condamne en 1864 dans les 80 articles d'un syllabus les « erreurs » du monde moderne : le rationalisme, le libéralisme, le socialisme, la liberté de conscience, la laïcité, etc. Les traditionalistes se font les fervents défenseurs de la foi traditionnelle.
L'Église multiplie en France les missions qui installent dans le paysage de nombreux calvaires et des statues de la Vierge. À la fin du XIXe siècle, ces sculptures se dressent dans les villages face aux statues de la République.
L'opinion catholique est dans sa majorité hostile à la République laïque et son école « sans Dieu ». Pour les anticléricaux, l'influence de l'Église est encore trop forte. Les affrontements ne sont pas rares entre « calotins » et « républicains ». À la fin du XIXe siècle, le cardinal Lavigerie demande aux catholiques de se rallier à la République. Les troubles lors de la loi de séparation de l'Église et de l'État en 1905 montrent cependant que les relations restent difficiles. Il faut véritablement attendre la Première Guerre mondiale pour que catholiques et républicains se retrouvent dans un même élan de défense de la Patrie.
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