Les cahiers d’enregistrement des noms de familles juives de Foussemagne en 1808
Les familles juives de Foussemagne, village du département du Haut-Rhin, doivent en 1808 se soumettre au décret napoléonien du 20 juillet et se présenter devant le maire de la commune afin de se faire enregistrer officiellement. Les prêtres tiennent les registres paroissiaux et y enregistrent les catholiques depuis le Concile de Trente. En revanche, avant la création de l’Etat Civil, aucune procédure n’est prévue pour les familles juives. Napoléon déclare qu’elles sont tenues d’adopter dans les trois mois un nom et un prénom fixes, afin de limiter les variations de patronymes, parfois au sein d’une même famille. Les Consistoires sont chargés de veiller à la bonne application de ce décret, dans le cas contraire, les contrevenants pourraient être renvoyés de l’Empire. L’article 3 précise que « ne seront point admis comme noms de famille, aucun nom tiré de l’Ancien Testament, ni aucun nom de ville…». A la lecture des registres, il s’avère que nombre d’entre eux, en Alsace, sont parvenus à préserver leur prénom biblique. Quant au nom de famille, le plus répandu dans cette communauté du Sundgau est celui de Piquard (à l’origine, « Picquer »), nom se rapportant au commerce des chevaux dont ils étaient nombreux à exercer la profession.
Les familles sont convoquées une seconde fois devant l’officier d’Etat Civil pour rectifier la signature apposée au bas de l’acte : celle-ci ne doit pas figurer en caractères hébraïques ; les familles juives ne maîtrisant pas la langue française à l’écrit se contentent d’un signe, le cercle est le plus fréquemment utilisé.
En savoir plus
L’installation d’une première communauté à Foussemagne est attestée dès 1751 ; c’est le seul village du bailliage de Delle qui accueille des Juifs avant la Révolution ; Belfort ne les accepte qu’après 1789. En 1748, ils obtiennent l’autorisation de s’installer dans la province alsacienne ( même si leur présence est attestée depuis la fin du XVIIème siècle) pour leur contribution à la vie économique et militaire ; ils se sont en effet rendus indispensables en jouant les entremetteurs avec la Suisse afin d’approvisionner l’armée en chevaux.
En 1751, 17 familles y sont dénombrées ; elles sont 22 en 1784, comptent environ 139 individus et représentent la moitié des habitants du village. Ils se sont implantés en territoire rural pour les besoins liés à la spécificité du commerce de bétail et occupent une position stratégique au carrefour de plusieurs provinces du royaume de France et de pays étrangers. Leur présence dans la commune semble occasionner un certain embarras et engendrer une certaine animosité de la part de l’autorité ecclésiastique catholique. Par conséquent, ils doivent pratiquer leur religion dans la plus grande discrétion et se tenir à l’écart des chrétiens. Le prêtre du village voisin de Fontaine juge préoccupant le fait qu’ils travaillent le dimanche et les jours de fêtes chrétiennes. Le cloisonnement entre les communautés juives et non juives semble s’être renforcé au cours du XVIIIème siècle, des conflits éclatent à propos de certaines transactions commerciales ou rituelles comme semblent l’indiquer des actes notariaux. Des critiques à leur égard sont portées dans certains registres.
A partir de 1791 avec l’octroi de la citoyenneté aux Juifs, quelques familles de Foussemagne vont s’établir à Belfort. Lors de l’enregistrement des noms de familles, ils sont au nombre de 245 dans la cité belfortaine. En 1809, la communauté fait l’acquisition d’un terrain afin d’y construire la première synagogueLieu de culte juif.. Leurs activités principales demeurent le commerce du bétail et le colportage.
Sandrine Bozzoli, professeure détachée aux Archives départementales de Belfort.