L’épuration en Haute-Saône
Les rapports d’enquête de gendarmerie ou de police d’après la Libération constituent des sources très intéressantes pour étudier l’épuration, qui se définit comme la répression de la collaboration avec les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Ce rapport présente les témoignages de voisins sur les agissements d’un inculpé de collaboration durant l’Occupation. M Gustave de Flagy, ainsi que sa femme, sont ainsi accusés d’avoir eu des relations avec les Allemands, et notamment de les avoir reçus à leur domicile, voire de les avoir ravitaillés. Les faits qui leur sont reprochés s’apparentent donc à de l’aide à l’ennemi et sont soulignés en rouge par les enquêteurs, afin de les mettre en avant. La « rumeur publique » est omniprésente dans les rapports judiciaires, et est utilisée contre les inculpés lors de l’instruction des dossiers. Nous constatons que les témoins qui vivent à proximité du domicile des inculpés ne sont pas très précis sur les faits reprochés à ceux désignés comme collaborateurs. Le couple n’est pas sanctionné par les tribunaux, toutefois, il est victime d’un attentat à la grenade contre leur maison en mai 1945, en signe de protestation de la population.
En savoir plus
Le terme d’épuration est souvent associé à divers adjectifs tels que « sauvage », « sommaire », « spontanée ». Ces termes sont aujourd’hui débattus par les historiens, car jugés trop forts ou ne montrant pas un aspect d’organisation. Luc Capdevila parle quant à lui « d’épuration de voisinage » pour la Bretagne, ce qui semble également coïncider avec le cas évoqué précédemment. Finalement, il est désormais admis qu’une épuration extra-légale s’est déroulée en même temps qu’une épuration légale. En effet, il n’est pas exclu que des interventions extérieures, réalisées par des individus insatisfaits, aient lieu lorsque l’épuration est pensée comme trop lente. L’épuration ne se limite donc pas aux tontes de la Libération comme nous pourrions le penser, mais a une certaine amplitude dans le temps, et connaît parfois des rebonds. Différents types de collaboration sont d’ailleurs réprimés lors de l’épuration, et ce dès l’Occupation. Il en est ainsi de la collaboration par relations, de la collaboration politique, la collaboration économique, ou encore la délation. Certaines affaires, considérées comme importantes, sont portées devant les tribunaux de l’épuration, que sont la chambre civique et la cour de justice, selon la gravité des faits. Ces tribunaux attribuent différentes peines, telles que la dégradation civique pour le premier, ou encore les travaux forcés pour la seconde. La peine de mort est rarement donnée. Seulement 5 hommes sont condamnés à cette peine pour la Haute-Saône. Puis vient le temps de la « désépuration » avec les commutations et les remises de peines. Des amnisties sont également accordées dans les années 1950 suite aux deux grandes lois de 1951 et 1955.
Florette Coudriet, professeure d’histoire-géographie.
Contexte
Mémoires de la guerre
À la Libération, le général de Gaulle et les forces issues de la Résistance souhaitent reconstruire la République et la puissance de la France. Ils choisissent de présenter le régime de Vichy comme étant celui d'une poignée de traîtres. Ils affirment que la République, à travers l'action de la France libre et de la Résistance, n'a jamais cessé d'exister. Sitôt les principaux responsables de la Collaboration jugés et condamnés, il convient de faire oublier la responsabilité des Français dans ce qui s'est passé. La mémoire de Vichy est ainsi progressivement refoulée jusqu'aux années 1970.
Parallèlement, les forces politiques, des gaullistes aux communistes, célèbrent la France résistante et le sacrifice de ses héros. Commémorations, affiches, plaques et monuments entretiennent le souvenir des victimes de la répression allemande. Le Parti communiste, qui se présente comme le « parti des fusillés », commémore séparément ses martyrs, à l'exemple du jeune Guy Môquet.
Dans ce contexte, la mémoire de la déportation ne met pas particulièrement en valeur le drame de l'extermination des Juifs. Certes, le retour des rescapés des camps et la révélation des horreurs nazies sont un choc en 1945. Cependant, lors des procès des collaborateurs, on évoque peu la persécution spécifique des Juifs. Il n'y a pas de procès en France pour crime contre l'humanité. Les condamnations sont prononcées pour crimes de guerre et intelligence avec l'ennemi. La société n'entend guère le témoignage particulier des survivants de la Shoah. Dans les années 1950, la figure du déporté est souvent celle du déporté politique. On parle davantage des camps de concentration que des centres de mise à mort. Dachau ou Buchenwald sont des noms largement aussi emblématiques qu'Auschwitz-Birkenau. Il faudra attendre les années 1970 et surtout 1980 pour intégrer la dimension particulière du génocide, mais aussi la responsabilité de l'administration française dans les rafles et la déportation des Juifs.
Complément(s)
Image(s)
La Haute-Saône n’échappe pas au phénomène des tontes de femmes accusées de collaboration avec l’ennemi. Cette photographie représente une femme en train d’être tondue par plusieurs FFI, lors de la Libération de Vesoul, le 12 septembre 1944, sur la place du 11ème Chasseurs. Fabrice Virgili, historien spécialiste des tontes a analysé cette photographie et constate qu’il existe plusieurs moments lors de la tonte : la recherche de la femme à juger par l’homme au brassard qui tend le bras, son jugement par les hommes assis à la table, puis sa sanction sur la chaise. Seuls les militaires agissent, il y a donc séparation entre eux et les civils, qui observent la scène.
© Jean-Claude GRANDHAY, Vesoul, 12 septembre 1944, Paris, Erti, 1994, p. 74.