Le travail des femmes à la Grande Saline
Le travail des femmes à la Grande Saline
Le sel de la Grande Saline a assuré la fortune de Salins pendant des siècles et a contribué à la prospérité de la Franche-Comté. Cette production nécessite de nombreux ouvriers, de 80 à 4000 selon les époques : sauniers, bûcherons, voituriers, forgerons, tonneliers, mais aussi des personnes dédiées à la commercialisation ou l’administration du site… Les métiers en lien direct avec la fabrication requièrent force physique et résistance dans un environnement très chaud, humide et au contact du sel.
Un grand nombre de ces travailleurs était des femmes très spécialisées affectées à la fabrication des pains de sel, une des tâches les plus importantes à la Saline. Leurs attributions étaient bien définies, entre la tirari de feu (tireuse de braises), la mettari (qui façonne les pains de sel) ou encore la sechari (qui les sèche). Ces fonctions nécessitaient un grand soin, chaque pain devant être très précisément calibré.
Certaines femmes étaient gardes, c’est-à-dire contremaîtresses, poste à haute responsabilité. Elles surveillaient les ouvriers et ouvrières affectés à la production d’une poêle à sel et répondaient de la qualité de chaque pain sortant de leur atelier.
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La présence en nombre d’ouvrières à des postes à responsabilité est l’une des particularités de la Grande Saline de Salins. Selon l’historien Paul Delsalle, le site comptait plus de 1000 employés au XVIe siècle, dont 300 à 400 femmes. Ces ouvrières sont pour certaines préposées à l’entretien et au service et pour d’autres à la formation des salignons (les pains de sel utilisés pour identifier le sel de contrebande), un processus complexe qui fait l’objet à la Saline d’une forte division du travail. Affectées à une poêle à sel spécifique, ces femmes sont responsables chacune d’une étape de production du salignon. Les esteignary régulent le feu des poêles pour produire des braises, les tirari récupèrent ces braises, les mettari ramassent le sel et remplissent les moules, les fassari façonnent les pains dans ces moules, les sechari les sèchent grâce aux braises fournies par les tirari. Elles sont surveillées de près par la garde qui contrôle également les hommes de son atelier. Ces gardes au salaire confortable disposent d’une aide, souvent leur fille, mais parfois leur mari.
La chaleur des salles d’évaporation, le travail de jour comme de nuit et les efforts physiques importants rendent ces tâches particulièrement difficiles. Pourtant, certaines ouvrières étaient employées pendant 30, 40 ou 50 ans à la Saline. La rémunération prenait des formes très variées : salaire au mois ou à la semaine pour les uns, paiement à la tâche, collectif ou individuel, et en fonction de la qualité du résultat pour les autres. Les avantages étaient nombreux : cadeaux pour les mariages, dons de tissu, certains ouvriers étaient logés sur place, mais aussi pensions de retraite, ce qui était très rare à cette époque. Dès le XVe siècle, des primes de naissance étaient accordées aux ouvrières (25 kg de sel au début du XVIIe siècle). Ces avantages expliquent la convoitise suscitée par ces fonctions malgré la dureté du travail. On accède à un poste à la Saline grâce à une recommandation, suite à une transmission héréditaire ou en achetant son office. Certaines ouvrières du site étaient issues d’un milieu aisé, bourgeois ou même noble. Selon l’historien Paul Delsalle, « le monde ouvrier n’est pas né au XIXe siècle, il constituait une réalité économique et sociale à Salins depuis le XV ème siècle ». Dès le Moyen Age, les femmes en étaient partie prenante.
Sophie-Hélène Rauch, professeure documentaliste missionnée à la Grande Saline.