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La guerre civile en Espagne par le magazine Vu

Chalon-sur-Saône | Saône-et-Loire | Musée Nicéphore Niepce | 1936
Époque contemporaine | La guerre aux XIX et XX ème siècle

© Musée Nicéphore Niepce

En 1936, le photoreporter Robert Capa est envoyé par le magazine Vu en Espagne durant la Guerre Civile. Sur le front de Cordoue, il photographie des soldats républicains frappés par les balles des miliciens nationalistes franquistes. Deux images sont présentées par Vu, accompagnées du sous-titre « COMMENT ILS SONT TOMBES ». La première photographie, publiée de nouveau dans Life, devient l’une des plus célèbres photographies de guerre. Cette image est un tour de force narratif et saisissant : un soldat est tué. Le corps reste comme suspendu en l’air. C’est une image que seule la photographie peut nous proposer : un instant arrêté. La vue en contre-plongée permet de placer le soldat devant le ciel et renforce la sensation du corps en suspens. La composition décentrée sur la gauche laisse la place aux collines à l’arrière-plan qui créent une ligne de force sombre retraçant la trajectoire supposée de la balle. Cette trajectoire se retrouve dans l’orientation des tibias et du bras qui désignent l’impact. Le rapport entre le champ et le hors-champ (pieds et crosse du fusil sont hors cadre) et la distance au sujet permettent de mettre en valeur la proximité du photographe et le caractère d’urgence de la prise de vue. Elle témoigne de la dangerosité du métier de photojournaliste qui met sa vie en jeu pour offrir des images de guerre au plus proche de l’action.

En savoir plus

L’historicité de la photographie de Capa a été parfois mise en doute. Diffusée seule dans Life, la photographie parait vraisemblable mais, les choix de mise en page de Vu la mettent en relation avec une seconde image d’un autre soldat, aussi mortellement touché. Cette coïncidence éveille le doute : ne s’agirait-il pas d’une mise en scène ? Des historiens mènent l’enquête après la mort de Capa et le doute persiste concernant la « véracité » de la scène. Comment envisager alors la photographie de Capa comme source pour l’historien ?

Cette enquête questionne la réception par le public de la photographie en tant que témoin réel et indéfectible des faits. Or, la photographie est ambivalente : elle semble représenter la réalité alors qu’elle demeure un point de vue construit sur le monde. Elle résulte de choix du photographe : choix iconographiques, techniques et plastiques. Le point de vue du photographe désigne autant sa situation physique face à ce qu’il va changer en image que sa vision sur le monde.

Bien qu’il soit intéressant de questionner les photographies afin de ne pas être des consommateurs passifs d’images, l’image de Capa demeure un jalon dans l’histoire du photoreportage et le témoin d’un temps : témoigner d’une époque, du métier de photojournaliste en 1936 et faire état du point de vue ancré à gauche de Vu alors dirigé par Louis Voegel.

Cette photo remplit son rôle d’image de presse qui interpelle le lecteur, appuyée par le sous-titre « COMMENT ILS SONT TOMBES ». C’est une image « choc » et narrative. Une image efficace.

Le rôle d’une photo n’est pas de montrer la vérité mais de raconter une subjectivité, celle d’un photographe (regardons par exemple le travail de Luc Delahaye ou de Sebastião Salgado qui ont essuyé des critiques concernant l’esthétisation des sujets terribles qu’ils photographient). A l’ère de la falsification d’images et des fake news, gardons à l’esprit que toute image demeure une construction ce qui n’en diminue pas moins son intérêt.

Adèle Bernard, professeure d’arts plastiques missionnée au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône

Contexte

En 1936, la victoire du Frente popular aux élections législatives provoque le soulèvement du général Franco, partisan d’un régime autoritaire fondé sur l’armée et l’Eglise. C’est le début d’une guerre civile sanglante qui se termine par la fin de la République espagnole en 1939. Alors que les démocraties occidentales défendent le principe de la non-intervention pour ne pas déstabiliser l’ordre européen, l’Italie et l’Allemagne soutiennent Franco en lui envoyant des hommes et du matériel militaire. De son côté, l’URSS de Staline envoie aux républicains espagnols du matériel et des experts militaires, tandis que de nombreux communistes européens s’engagent dans les Brigades internationales. La guerre d’Espagne montre l’impuissance des démocraties occidentales.

Complément(s)

Document(s)

Vu, 23 septembre 1936, n°445, p. 1108 : suite de l’article dont est tiré la photographie de Robert Capa avec comme sous-titre « SUR LE FRONT DE BILBAO des miliciens, presque des enfants sont faits prisonniers »

Site(s)

L’intégralité du magazine Vu numérisé

 

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