Des bulletins nuls dans l’arrondissement de Joigny lors de l’élection présidentielle de décembre 1848
La Constitution adoptée par l’Assemblée nationale le 4 novembre 1848 a prévu la mise en place d’un président de la République, élu au suffrage universel (masculin) afin d’ancrer la IIe République dans la démocratie. Cinq candidats se sont présentés pour ces élections du 10 décembre 1848 (L.-N. Bonaparte, le général Cavaignac, Lamartine, Ledru-Rollin et Raspail).
Les bulletins étaient apportés par les électeurs : il était précisé dans chaque bureau de vote « qu’aucun bulletin ne sera reçu s’il n’est sur papier blanc » et « que chaque bulletin ne doit contenir qu’un seul nom ». Le Comité national et indépendant pour l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte a repris très clairement ces informations à destination des électeurs ; il précise même que « Le nom du Candidat peut-être écrit à la main, ou imprimé ». Certaines brochures en faveur de L-N. Bonaparte, député de l’Yonne, comportaient en effet des bulletins imprimés à détacher, comme le montre un bulletin dont le message a été détourné.
En savoir plus
Des discussions ont eu lieu dans les bureaux quand la dénomination du candidat était incomplète (absence du prénom « général Cavaignac » ou du nom « Louis-Napoléon ») ou que des éléments étaient ajoutés (mention « consul ») : fallait-il comptabiliser ces bulletins au profit du candidat ou non ? Le plus souvent, les différentes dénominations ont été reportées sur le procès-verbal, laissant la prise de décision à l’échelon supérieur. Un de ces bulletins qui ont pu prêter à discussion a été conservé par le bureau de Mézilles.
Mais ce sont surtout les bulletins considérés comme « inconstitutionnels », qu’on appellerait aujourd’hui nuls, qui ont été mis de côté et devaient être conservés. Tous ne l’ont pas été (la perte a pu être postérieure), mais certains sont intéressants, comme 4 bulletins par lesquels les électeurs ont cherché à faire passer un message, quitte à ce que leur voix ne compte pas comme l’un semble en avoir parfaitement conscience. Les 2 premiers bulletins portent une mention vraisemblablement ironique, dénonçant implicitement la répression de juin pour Cavaignac et le risque de dérive monarchique pour L-N. Bonaparte. Le 3e est clairement revendicatif en faveur d’une libération de Raspail emprisonné depuis mai pour avoir appelé à manifester en soutien aux insurgés polonais » et de tous les prisonniers politiques. Le 4e dénonce le vote en faveur de L-N. Bonaparte qui ne serait pas favorable aux ouvriers, contrairement à ce que certains voulaient faire croire, mais seulement aux « gros », aux bourgeois. Ces 2 voix en faveur de Ledru-Rollin et de Raspail ont été perdues.
D’autres bulletins n’ont pas compté, même s’ils n’étaient pas inconstitutionnels, les bulletins en faveur de personnes qui n’étaient pas candidates comme Uzanne (maire d’Auxerre), Frédéric Gaillardet, (journaliste tonnerrois) ou Louis Blanc (théoricien du socialismeTerme apparu vers 1830 pour désigner les doctrines qui dénoncent les abus du capitalisme et veulent instaurer la propriété collective des moyens de production et d’échange. L’objectif est de fonder une société d’hommes réellement libres et égaux, sans classe sociale., ministre du gouvernement provisoire à l’origine des ateliers nationaux) : on pouvait voter pour des non-candidats.
Nathalie Verpeaux, professeure d’histoire-géographie.
Contexte
Gouverner sous la Seconde République
Après la révolution de 1848, dans un esprit de grande fraternité, la IIe République est proclamée. Le suffrage universel masculin est décrété. La peine de mort pour raison politique est abolie, tout comme l'esclavage dans les colonies. Des ateliers nationaux sont fondés pour lutter contre le chômage.
Ce rêve fraternel ne dure pas. Manifestations et émeutes ouvrières éclatent suite à la fermeture des ateliers nationaux. Elles sont écrasées dans le sang en juin 1848. Après ces massacres qui font 5 000 morts, le parti de l'Ordre, qui rassemble tous ceux qui redoutent une révolution populaire, triomphe aux élections.
Une nouvelle constitution met en place une république où les pouvoirs sont partagés entre une assemblée élue au suffrage universel pour 3 ans et un président de la République élu lui aussi au suffrage universel pour 4 ans, son mandat n'étant pas renouvelable.
Localement, les maires sont élus par le conseil municipal pour les communes de moins de 6 000 habitants. Les maires des chefs-lieux d'arrondissement, de département et les villes de 10 000 habitants et plus, continuent d'être nommés par le préfet.
Le neveu de Napoléon I er, Louis-Napoléon Bonaparte, remporte largement les élections et devient le premier président de la République française avec 74 % des voix. C'était le candidat du parti de l'Ordre. Cela ne l'empêche pas dans les années qui suivent de s'opposer régulièrement à l'Assemblée et de se présenter comme le président du peuple. En décembre 1851, il organise un coup d'État qui prépare la proclamation en 1852 du Second Empire. Louis-Napoléon Bonaparte devient Napoléon III.
Complément(s)
Document(s)
Procès-verbal des opérations de l’Assemblée électorale du canton de Joigny, ville de Joigny pour les élections
du président de la République
Complément 1 – PV ville de Joigny
État des suffrages obtenus dans la commune de Mézilles pour les élections du président de la République
Complément 2 – Etat des suffrages commune de Mézilles
État des suffrages obtenus dans la 4e
section du canton de Joigny pour les élections du président de la
République
Complément 3 – Etat des suffrages 4e section du canton de Joigny