Des soldats américains dans le Territoire de Belfort en 1918
A la fin du mois de mars 1918, plusieurs centaines d’hommes des troupes américaines dépêchées en France sous le haut commandement du Général Pershing, arrive à Belfort et dans sa région. Un certain nombre d’entre eux, afro-américains pour l’essentiel, sera cantonné à Grandvillars dans le sud du Territoire de Belfort, pour une durée de deux mois. Tous ces hommes appartiennent au 370th Infantry Regiment – 93rd Division de Chicago. Fraichement débarqués en France, n’ayant pas encore connu les combats, ils prennent la pause, mise en scène sur fond de paysage bucolique, pour des clichés destinés à leurs familles et réalisés par Lucien Edmond.
Lucien Edmond, pharmacien à Grandvillars, habitué à la manipulation de différentes substances chimiques, officie également en qualité de photographe. Portraitiste des âges de la vie, il devient le témoin privilégié des manifestations festives et des transformations économiques et industrielles marquant le quotidien de la localité. A cet effet, il utilise une chambre photographique munie d’un trépied et des plaques de verre recouvertes d’une émulsion à la gélatine et aux sels d’argent, nécessitant un temps de pause assez long lors de la prise de vue.
En savoir plus
Le 370ème Régiment d’Infanterie US débarque à Brest le 22 avril 1918 ; il est rapidement dirigé sur Belfort pour y suivre un entrainement de six semaines. Du 1er mai au 11 juin, ce régiment, composé de 124 officiers et 1985 hommes de troupe cantonne à Grandvillars et ses environs. Il est composé de volontaires noirs, originaires de Chicago, ayant répondu au très célèbre appel « I want you for US army ». Cette incitation avait rencontré un véritable succès auprès des élites afro-américaines qui voyaient cet engagement comme le moyen de faire évoluer leur statut social en montrant leur valeur militaire. Dans le Territoire de Belfort, l’arrivée de ces troupes suscite de folles rumeurs, rapportées par Louis Herbelin dans ses Ephémérides (ADTB, 5JMs 22), au sujet de graves méfaits commis par ces soldats. Les archives officielles ne mentionnent en réalité que quelques disparitions, notamment de « bois de chauffage, de vin et d’une machine à coudre. » Le régiment rejoint l’Argonne en août pour être placé sous le commandement du général Mangin (10ème armée). En dépit des mises en garde des gradés américains aux officiers français concernant l’établissement d’une trop grande familiarité avec les soldats afro-américains, ceux-ci furent bien accueillis, l’incorporation de ces hommes étant fondamentale pour la poursuite des combats. Le 27 septembre 1918, le régiment participe à l’attaque de la ligne Hindenburg ; journée terrible, endeuillée par la perte de plus de 150 hommes, souvent inexpérimentés et manquant d’entraînement. Le 12 octobre, à l’issue d’une avancée de près de soixante kilomètres, ils permettent la libération de Laon et sa région. Nombre d’entre eux avaient au départ été enrôlés dans le SOS (Service of Supply) en charge de la logistique et des travaux manuels avant d’être intégrés aux unités combattantes ; après la fin des combats, ils furent chargés du déblaiement des ruines de plusieurs bourgades. Ils reçurent de nombreuses distinctions pour leur engagement et leur bravoure (croix de guerre françaises et reconnaissances américaines). De retour aux Etats-Unis, les discriminations, dont étaient victimes les soldats afro-américains avant le départ pour la France, sont toujours aussi vives.
Sandrine Bozzoli, professeure d’histoire-géographie.
Contexte
Combattre pendant la Première Guerre mondiale
Une guerre totale
En septembre 1914, la Bataille de la Marne stoppe l'offensive allemande. La ligne de front se stabilise pour plusieurs années. La guerre de mouvement laisse la place à une guerre de position. Tout au long du front, les belligérants s'enterrent, les soldats creusent des tranchées. Ce sont des fossés à ciel ouvert séparés par la zone de combat.
La Première Guerre mondiale est une guerre moderne. Il faut un armement plus puissant que celui de son adversaire pour rompre l'équilibre des forces et le vaincre. La victoire dépend aussi de la capacité d'innovation technologique des nations en conflit.
L'aviation, les sous-marins, les chars d'assaut sont pour la première fois utilisés durant la Grande Guerre. La marine de guerre se perfectionne. L'artillerie se modernise : canons à longue portée, obus de gros calibres. Les armées utilisent des armes chimiques comme les obus à gaz « moutarde ». Lance-flammes et mitraillettes datent également de 14-18, comme l'utilisation massive des fils barbelés.
La médecine tente de répondre à la gravité des blessures. Marie Curie organise par exemple un cabinet itinérant de radiologie.
Toutes les ressources dont disposent les États sont mobilisées pour la victoire. Les États mettent en place une économie de guerre.
L'industrie doit produire des armements en masse. La guerre devient une guerre industrielle.
La main-d'œuvre est mobilisée. En France, ouvriers qualifiés de la sidérurgie, ouvriers venus des colonies, immigrés comme les Chinois et prisonniers travaillent pour l'effort de guerre. Les femmes remplacent les hommes partis au front : les « munitionnettes » produisent dans des usines modernisées des tonnes d'obus.
Pour que la population se mobilise entièrement pour la victoire, il faut obtenir son consentement. Censure et propagande, « bourrage de crâne », assurent l'adhésion des populations à la politique de guerre, y compris celle des enfants qui sont embrigadés.
La mobilisation des civils, des militaires et de toutes les ressources de la Nation fait de la Première Guerre mondiale une guerre totale.
Complément(s)
Document(s)
Le jazz-band du 370è Régiment d’Infanterie donne un concert sur la place de Grandvillars le 31 mai 1918 ; au programme, de la musique militaire, des airs classiques et quelques morceaux de jazz. Le journal « L’Alsace » du 16 juin 1918 évoque la réaction des auditeurs ayant assisté au concert donné Place d’Armes à Belfort, en utilisant des qualificatifs témoignant d’une « musique endiablée de cirque ».